Marquise au portrait

Barbara Lecompte

Arléa

  • Conseillé par
    10 novembre 2014

    Il a peint les grands hommes de son temps, et les femmes aussi bien sûr. Philosophes, Grands du royaume, généraux, princesses, dauphins, tous ont laissé ce grand maître du pastel faire leur portrait. Louis XV lui-même en a fait son portraitiste officiel. Il faut dire que, malgré sa nature soupe-au-lait, sa franchise pas toujours bienvenue et ses maladresses, Maurice Quentin Delatour est un pastelliste et portraitiste de génie. Plus que la seule ressemblance, il cherche à capter l'essence de son modèle, à appréhender l'âme qui se cache derrière les visages. Pourtant, quand en 1749, la marquise de Pompadour, maîtresse et conseillère du roi, lui commande un portrait en pied, Delatour est déstabilisé. Par l'influence de son modèle ? Par la taille du tableau ?

    Le fait est que le peintre fait traîner les choses, toujours insatisfait de son travail. Harcelé par le frère de la royale maîtresse, soucieux cependant de rester dans les bonnes grâces du monarque, Delatour enchaîne les faux prétextes, cumule les retards, honore d'autres commandes; il lui faudra plus de cinq ans pour livrer son œuvre.

    Les moins jeunes se souviennent sans doute que le visage de Quentin Delatour ornait les billets de 50 francs avant que Saint-Exupéry ne lui vole ce privilège. Mais qui connaît l'homme et le peintre ? Si lacune il y a, la spécialiste Barbara LECOMPTE se propose de les combler avec ce charmant petit roman où elle virevolte d'un personnage à l'autre en donnant une voix à l'artiste. C'est donc Delatour lui-même qui, à la première personne, se raconte et raconte ses modèles les plus célèbres. Rousseau, D'Alembert, le maréchal de Saxe, Louis XV et bien d'autres, prennent vie sous l'oeil du peintre qui cherche, au-delà des apparences, une lueur dans les yeux, une ride au coin de la bouche, qui saura, plus que la simple ressemblance, montrer la vérité intrinsèque de son modèle. La Pompadour qui lui résiste est un défi pour cet artiste exigeant et perfectionniste. L'homme peine et en profite pour se livrer, avouer ses failles, ses crises de folie, sa passion pour la chanteuse Marie Fel, son désir de s'instruire, son amitié avec les encyclopédistes, sa défiance à l'égard de la cour, et bien sûr, son travail, le mélange des couleurs, l'éternelle recherche d'un fixateur, les tableaux gâchés d'avoir été trop retravaillés. A force de confidences et d'une certaine autodérision, l'homme devient proche et sympathique, presqu'un ami.
    Un livre érudit mais qui fait passer les informations l'air de rien, sur le ton de la conversation. L'impression d'avoir partagé un moment rare dans l'intimité de Delatour, un homme fragile, passionné, un brin mégalomane mais terriblement attachant. Le plus indéniable du livre est que le pastelliste parle si bien de ses portraits qu'on ressent l'irrépressible besoin d'aller les voir (merci internet!) pour suivre guidé par lui les détails de l'oeuvre. Une belle réussite pour Barbara LECOMPTE qui a su mettre son savoir au service d'un roman léger et instructif.

    Un grand merci au club de lecture Dialogues croisés.