Après la fin de la Guerre des Astres, Sirem a été recueillie par Ziri et travaille avec lui sur son projet de bibliothèque. Sirem considère Ziri comme son père adoptif ; aussi, lorsque celui-ci est arrêté par la garde impériale, elle n’hésite qu’à peine avant de pactiser avec Tanit, mystérieuse jeune femme victime d’une malédiction qui la confine dans le corps d’un oiseau. Elle se lance alors dans une quête périlleuse à travers la Constellation…
One-shot dans une production généralement trop centrée sur les sagas, Sirem dénote aussi de par son ambiance et les lieux où évoluent les personnages. Inspiré par les traditions culturelles et les contes berbères, Sirem sort du carcan occidental habituel aux livres de fantasy destinés aux ados, et apporte au milieu une fraîcheur plus que bienvenue.
Sirem est dans sa construction somme toute assez classique : un danger, une quête à accomplir, une prophétie, des alliés rencontrés en chemin et des épreuves à franchir. Le roman est néanmoins très habilement mené (et il s’agit d’un premier roman, ce qui fait d’emblée de Yasmine Djebel une autrice très prometteuse) et les personnages réussis. Sirem est un personnage très attachant, de par ses failles, ses doutes et sa détermination à sauver Ziri. On se prendra aussi d’affection pour les personnages entrant plus tard dans le récit – Kamil, l’apprenti sorcier, ou le très jeune Nedjim. Chacun a son histoire et son objectif propre, créant ainsi des liens qui se font et se défont au fil de l’intrigue. Tanit, notamment, est un personnage ambigu une bonne partie du roman, et les interrogations à son sujet seront nombreuses… Fantasy oblige, l’univers est bien sûr parsemé de magie, qui est très bien équilibrée, et tient plus du domaine du légendaire que de la magie à laquelle nous sommes habitués, celle avec baguette et potions.
La quête de Sirem passe de villes en villes. Chacune a son ambiance, son histoire, et ses particularités. Mention spéciale à Chergui, la ville oubliée, qui a une atmosphère toute particulière et très réussie.
Les thèmes abordés, enfin, sont nombreux : le deuil, la guerre, le déracinement et la discrimination. Des thématiques somme toute d’actualité mais abordés avec finesse, faisant de Sirem un roman loin d’être déprimant.
En bref, Sirem et l’oiseau magique est une belle réussite et un excellent premier roman. L’ambiance nous change des romans jeunesse habituels, ce qui apporte un réel vent de fraîcheur dans cette littérature trop souvent occidentalisée. Le déroulement de l’histoire est habile, ses thèmes abordés avec subtilité. Un très bon roman que je vous conseille fortement.
Uoto, jeune auteur de 25 ans, fut d’abord passionné de philosophie puis de sciences. Il se spécialisera dans ce tout dernier domaine à l’université, s’intéressant tout particulièrement à l’évolution des théories de l’héliocentrisme. Repéré à 23 ans par le célèbre éditeur Kodansha, c’est finalement dans le domaine du manga qu’il partira. Quoi de plus logique que sa passion pour la science et du manga se combinent ?
Le Mouvement de la Terre débute au Moyen Âge. Il est sans doute difficile, alors que tant d’éléments liés à l’astronomie et à l’astrophysique nous semblent maintenant évidents, d’imaginer ce que la répression de certaines théories a pu être à l’époque. Uoto n’hésite pas à nous le rappeler, et ce littéralement dès les premières pages. Car soyez avertis : certaines scènes sont violentes, et les tortures sont évoquées de façon crue. C’est pourtant justifié, les pouvoirs de l’époque réprimant sans hésitation toute remise en question des textes sacrés. L’héliocentrisme, et plus particulièrement le fait que la Terre ne soit pas au centre de l’univers, a mis du temps à être accepté…
Rafal, personnage principal, fils adoptif d’un ecclésiastique, va lui aussi mettre du temps à l’accepter. Brillant étudiant, poussé par son père à abandonner l’astronomie au profit de la théologie, il aurait sans doute pu en rester là de sa passion pour le ciel, n’eut été sa rencontre avec Hubert, un homme tout juste sorti de prison où il avait été enfermé à cause de sa théorie sur l’héliocentrisme. Loin d’abandonner ses recherches comme il l’avait pourtant promis lors de son jugement, Hubert va exposer ses théories au jeune Rafal, et remettre en doute toutes ses croyances et sa foi…
Si le dessin de Uoto n’est pas extraordinaire en soi, c’est l’histoire qui est prenante. Le contexte historique d’abord, est brillamment représenté et, pour ce que j’en sais (et je ne prétends pas être spécialiste en la matière, aussi des erreurs ou maladresses ont tout à fait pu m’échapper), relativement exact. La narration est bien menée, et l’on s’attache très vite aux personnages. Car quoi de plus normal de se scandaliser de voir qu’un tel sort était réservé à ceux qui soutenaient la simple idée de la Terre qui tourne autour du Soleil ? L’antagoniste, inquisiteur aux ordres de l’Église, rempli parfaitement sa fonction de personnage détestable et effrayant : ici récupérant le ballon d’un enfant coincé dans un arbre avant d’aller torturer son père… Quant au personnage de Rafal, s’il est peut-être un peu survolé — mais comment faire autrement dans un format aussi court ? —, on pardonne volontiers à l’auteur, qui a réussi malgré tout à rendre l’ensemble totalement crédible et, il faut le souligner, accessible. Comprendre que vous n’aurez pas droit à des pages d’équations incompréhensibles au néophyte : les théories évoquées le sont de façon simple. Rien d’inaccessible à un non-scientifique donc.
La fin est inattendue ; le tome suivant ne mettra que trop de temps à sortir !
Seinen historique et passionnant, Le mouvement de la Terre a été largement primé au Japon, et cela se comprend à la lecture ! Je ne peux que trop vous recommander cette série qui démarre sur les chapeaux de roue et qui promet, au long de ses 8 tomes, d’être tout bonnement excellente.
Avec la parution du troisième tome fin janvier, la trilogie des Poudremages est enfin sortie au grand complet. L’occasion de faire le point sur cette série de fantasy qui fut pour moi un vrai coup de cœur dès le premier volume.
Le premier tome, je vous en disais déjà beaucoup de bien il y a quelques mois. Après un coup d’État réussi, le maréchal Tamas tentait de mettre de l’ordre dans un pays où couvait la guerre civile pendant que l’envahisseur menaçait aux frontières du pays ; son fils Taniel était envoyé à la poursuite d’une Privilégiée, puissante magicienne ; l’inspecteur Adamat était chargé d’enquêter sur une prophétie prévoyant le retour des Dieux ; Nila, lavandière, parvenait de son côté à sauver le fils de la famille noble pour laquelle elle travaillait. Le tome était bien rythmé, avec une découverte en douceur d’un univers pourtant complexe et extrêmement bien construit, des personnages attachants et une belle montée en puissance à la fin du tome. La question était de savoir si la suite retomberait comme un soufflé, et ce fut loin d’être le cas.
Sans trop en révéler sur l’intrigue, le second tome, davantage militaire que le premier, dévoilait un peu plus de l’univers construit par l’auteur tout en rebattant les cartes : là où on attendait certains personnages en position de héros, ils se retrouvaient au final chassés par l’ennemi, voire par leur propre camp. D’autres suivaient une évolution parfois plus inattendue – je pense notamment à Nila, très effacée dans le premier tome mais qui laisse apercevoir des possibilités intéressantes à la fin du deuxième. Ce second tome se terminait, comme le précédent, en fanfare, laissant à nouveau la lectrice que je suis en attente impatiente de la suite et fin.
Et ce troisième tome a su tenir toutes ses promesses. Là encore, impossible de trop en dire dans ce billet qui se veut volontairement sans spoiler. L’intrigue se révèle être un bon équilibre entre rebondissements côté militaire et cheminements plus personnels de certains personnages. La fin est, quant à elle, à l’image de la série : explosive.
Alors oui, je peux le dire maintenant que la trilogie est publiée entièrement : cette série est excellente. Le worldbuilding en lui-même est déjà très réussi, avec un très bon équilibre des différentes magies et forces qui peuplent l’univers. L’intrigue sait alterner entre grande campagne militaire et intrigues plus secrètes sans pour autant rendre la lecture fastidieuse. Les personnages, loin d’être statiques, portent l’intrigue à bout de bras, évoluent, dévoilent des faiblesses ou des forces qu’on ne leur soupçonnait pas en premier lieu, les rendant particulièrement attachants. J’ai déjà cité Nila qui a probablement la meilleure évolution de la série, mais Ka-Poel, qui accompagne Taniel, se défend également de ce côté. Enfin, la menace omniprésente des divinités qui peuplent le monde ajoutent avec brio à l’ambiance.
Sans trop de doutes, la Trilogie des Poudremages constitue une référence dans l’univers de la fantasy, et un auteur qu’on suivra avec plaisir si par bonheur, d’autres de ses ouvrages débarquent en VF en librairie !
À Woodleigh Common, petit village proche de Londres, une fête pour enfants est organisée à l’occasion d’Halloween. Pendant les préparatifs, la jeune Joyce se vante d’avoir un jour assisté à un vrai crime. Quelques heures plus tard, elle est retrouvée noyée dans une bassine. Mrs Oliver, autrice à succès demande alors à son vieil ami Hercule Poirot de se rendre sur les lieux pour mener l’enquête.
Jusqu’à maintenant, nous vous avons surtout parlé de livres récents. Le crime d’Halloween (autrefois connu sous le titre La fête du potiron), sorti pour la première fois en anglais en 1969, est loin d’en faire partie. Pourtant, quelle meilleure période qu’Halloween pour se replonger dans ce que l’on appelle désormais un bon vieux cozy mystery ? Le genre, remis au goût du jour avec de récents succès – notamment celui de MC Beaton et sa collection Agatha Raisin – se différencie des thrillers actuels par une ambiance plus légère (pas de flaques de sang ici, et on n’assiste pas souvent au meurtre) et un humour très british. Agatha Christie, avec entre autres Miss Marple et Hercule Poirot, en est une figure emblématique.
Ici donc, pas d’hémoglobine, pas de détails sordides. Le livre est surtout porté par une sacrée ambiance (un village isolé et bucolique) et des personnages bien marqués. Force est de constater qu’Agatha Christie excelle dans la création de personnages si caractéristiques que, malgré leur nombre, à aucun moment on ne les confond lors de leurs diverses apparitions ou évocations. Et c’est une sacrée galerie à laquelle on a droit, entre l’autrice de romans à succès, la veuve richissime qui cherche à garder le contrôle sur tout ce petit monde, l’artiste jardinier… Évidemment, tout ce petit monde a son lot de secrets plus ou moins anciens, qu’Hercule Poirot exhumera les uns après les autres afin d’essayer de les relier entre eux.
Le style d’Agatha Christie est également très reposant. Ici, pas de fioritures : les chapitres sont courts, les interrogatoires et les réflexions du détective se succèdent, tout s’enchaîne sans accrocs et sans lassitude. Le livre se boucle après quelques heures que l’on aura passé à soupçonner la plupart des personnages tour à tour avant d’être, comme toujours avec Agatha Christie, étonné par la fin.
Malgré le temps qui passe, c’est toujours un plaisir de (re)découvrir un Agatha Christie, et la saison se prête parfaitement à cet épisode.
Monsieur Toussaint Louverture est une maison d’édition qui fait beaucoup parler d’elle de par la qualité de ses ouvrages – on citera notamment ces derniers temps la série Anne Shirley, ainsi que Blackwater, gros succès de l’été. Pour cette rentrée littéraire, l’éditeur nous offre une réédition de La maison des feuilles1. Et c’est un livre qui ne peut se résumer uniquement par son intrigue de fond.
Pour le fond : un couple et leurs deux enfants emménagent dans une maison en Virginie. Très vite, des choses étranges se passent : un placard apparaît là où il n’y avait rien – placard qui, une fois prises ses mesures intérieures et extérieures, s’avère plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur ; un mur se déplace ; un couloir entier apparaît de nulle part. Navidson, le père, explore brièvement le couloir et réalise qu’il n’est que l’entrée d’un gigantesque labyrinthe dont la forme change constamment et où se fait parfois entendre un grognement. Il demande bientôt à une équipe d’explorateurs de s’enfoncer dans le labyrinthe.
Pour la forme : Navidson est photographe professionnel. À l’emménagement, il a posé des caméras dans la maison, espérant monter un film sur la façon dont les gens investissent un espace. Il prendra également une caméra avec lui lors de sa première exploration, et en fournira à l’équipe d’explorateurs. Lorsque l’histoire se termine, ces différentes images seront montées en film, appelé « Le Navidson record ».
Ce film va être visionné par un homme qui n’a rien à voir avec la famille, Zampanò. Obsédé par cette histoire, il va l’analyser, la disséquer, aller chercher diverses sources, certaines directement liées à l’histoire, d’autres plus générales mais susceptibles d’aider à trouver un sens à l’histoire (à titre d’exemple, les références à la mythologie, et bien sûr au Minotaure, sont légions). Zampanò aime les longues analyses. Zampanò aime BEAUCOUP les notes de bas de page, et les listes.
En réalité, Zampanò meurt au début de l’histoire. Tous ses papiers à propos du Navidson record sont alors trouvés par Johnny, un jeune homme qui va décortiquer ce texte. Johnny aime aussi les notes de bas de page. Ses notes ont toutefois la particularité de parler beaucoup de sa propre vie, où on le voit sombrer peu à peu dans la démence. C’est le résultat combiné du texte de Zampanò et de Johnny que nous lisons dans La maison des feuilles.
Le texte est dès lors très inhabituel dans sa forme ; ce n’est pas un roman que nous lisons, mais un essai. Un essai bourré de notes de bas de page. Il y a des notes de bas de page dans les notes de bas de page. Et d’autres dans les notes de notes de bas de page. La typographie est d’ailleurs différente selon l’auteur de la note en question.
De plus, le texte n’est pas uniforme : tantôt essai « classique », tantôt transcription de vidéo, lettre, interview, et même partition de musique. Le lecteur est aussi constamment ramené au fait que le manuscrit de Zampanò a été découvert : il est souvent précisé qu’il manque une page, que telle partie est illisible, qu’une autre a été rayée, brûlée, couverte de goudron. Et la mise en page change également, devenant de plus en plus chaotique au fur et à mesure de l’avancée de l’équipe dans le labyrinthe, obligeant même parfois à tourner le livre dans un sens différent à chaque page abordée.
C’est donc une expérience de lecture toute particulière qui s’offre à celui qui ouvre le livre : le renvoi constant à des notes, sous notes et sous-sous notes de bas de page perd littéralement lecteur (oui, comme dans un labyrinthe). Les longs apartés de Johnny créent parfois un sentiment de frustration (comme dans un labyrinthe, non ?) lorsqu’ils interviennent aux moments cruciaux que vit l’équipe d’exploration du labyrinthe. L’intrigue porte sur un labyrinthe, gigantesque et changeant ; le livre, dans sa forme même, s’en fait le reflet.
La maison des feuilles est une lecture inédite, particulière, troublante, mais aussi brillante. Le lecteur est constamment réquisitionné, mais aussi manipulé (énormément de références de livres, interviews et essais sont fausses, cela étant annoncé dès le début. Libre à vous d’avoir le courage de tout vérifier !). On adhère ou pas, mais indubitablement, la lecture de La maison des feuilles est une expérience qui n’arrive pas souvent dans la vie d’un lecteur.
1Qui était déjà sorti chez Denoël en 2002², mais était épuisé depuis.
2 La réédition de 2013 chez ce même éditeur était également épuisée.³
3 Oui, ces notes de bas de page sont principalement là pour vous mettre dans l'ambiance.