Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Une enquête du commissaire Dupin

Les Presses de la Cité

22,00
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8 juillet 2015

Deuxième aventure pour le commissaire Georges Dupin après Un été à Pont-Aven. Je rappelle, pour ceux qui ne me lisent pas attentivement, d'abord que ce n'est pas bien et ensuite que Jean-Luc Bannalec est le pseudonyme d'un écrivain allemand amoureux de la Bretagne, d'où la traduction d'Amélie de Maupeou. Georges Dupin -j'imagine un hommage aux écrivains, Simenon, George Sand née Dupin- est un commissaire parisien arrivé à Concarneau quatre années auparavant et qui se plaît tellement en Bretagne qu'il en adopte rapidement les coutumes. Bougon, il mène son enquête comme il le veut, cherche absolument dans tous les coins, toutes les idées sont creusées, abandonnées si elles ne donnent rien, mais d'autres surgissent. "Il n'était pas rare qu'une enquête révèle plusieurs pistes sérieuses, mais la plupart du temps, l'une des deux refroidissait au fil des investigations, petit à petit ou d'un coup, selon l'affaire. Dans ce cas, c'était le contraire : les pistes se démultipliaient sans cesse." (p.320)

L'intrigue est bien menée, et l'on hésite longtemps entre la piste politico-magouilles (dans laquelle plusieurs hypothèses sont évoquées, comme quoi l'imagination des escrocs déborde) ou celle d'une jalousie, d'un simple règlement de compte sur fond de recherche de trésors (beaucoup d'épaves sont échouées au large de l'archipel). Mon seul bémol est sur l'omniprésence du portable : pendant les trois jours, le commissaire l'a vissé à son oreille et l'on n'échappe pas aux conversations, qui apportent des indices certes, mais qui peuvent être parfois fatigantes. On m'objectera que la situation sur des îles, loin de tout contact l'exigeait. Sans doute, mais pourquoi désormais les enquêtes nécessitent-elles toutes une surabondance des dernières technologies ? Voilà, moi aussi, quand je veux, je peux être bougon, comme Georges Dupin, qui, malgré mon ronchonnement m'a fait passer un excellent moment. Dupin, il s'installe dans un lieu, il y reste pour bien comprendre les us et coutumes, pour bien cerner les habitants -d'où cet éloignement et l'usage immodéré du portable, sûrement. Son truc, c'est de regarder, écouter, comprendre tout et tous : "J'aimerais que nous interrogions une nouvelle fois tous les gens d'ici. Quelles relations les liaient aux trois victimes ? J'ai besoin de comprendre précisément le fonctionnement de cette communauté. Je veux avoir une image très précise de ce petit monde." (p. 274) C'est formidable parce que le roman devient une belle galerie de personnages tous plus crédibles les uns que les autres, tant les suspects que les collègues de Dupin, Nolwenn sa secrétaire en tête, car si on ne la "voit" jamais, elle est la clef de voute de l'édifice qui passe son temps au téléphone à donner des informations, à calmer le préfet, à distiller moult détails sur la Bretagne et à glaner tous les renseignement voulus par son patron. Mais ce roman est aussi une magnifique vitrine pour la Bretagne. Vous voulez visiter la région ? Pas de souci, prenez un des deux -ou les deux- romans de JL Bannalec, ils valent largement un guide touristique. Je suis même persuadé qu'il est plus complet et qu'il peut en apprendre aux Bretons de Bretagne, qui,comme chacun de nous près de chez lui, à force de vivre dans ces endroits, ne les voient plus avec l'œil du découvreur.

Gros succès en Allemagne où les deux romans ont été adaptés pour une série télévisée in situ ; rien que pour voir Concarneau et les Glénan, je veux bien les regarder -j'espère que les polars allemands ont évolué depuis Derrick !-, même si le mieux est d'y aller en vrai.

d'après Jacques Tati

Le Rouergue

16,00
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8 juillet 2015

Monsieur Hulot, le célèbre personnage créé et interprété par Jacques Tati se rend à la plage. Il arrive bien chargé : parasol, épuisette, chaise longue, raquette, drap de plage dans son sac. Il achète un journal bien décidé à passer un bon moment sur cette plage. Chapeau vissé sur la tête, pipe à la bouche, il s'installe après maintes péripéties pour monter sa chaise longue.

Qui aime Jacques Tati et son M. Hulot ne sera pas dépaysé, tout est là : la maladresse légendaire du personnage, sa bonté et son émerveillement devant les petites choses de la vie, sa rêverie quasi permanente, sa poésie... Monsieur Hulot est un grand type dégingandé, inapte à la vie trépidante, qui s'émeut des questions ou des jeux des enfants, il leur plaît parce qu'ils reconnaissent en lui l'un des leurs, ils le taquinent sans agressivité parce qu'il les fait rire.

Une vraie merveille -sans mauvais jeu de mots avec le nom de l'auteur du livre- que cette bande dessinée, un régal qui nous fait sourire à toutes les pages lorsque l'on voit Monsieur Hulot aller de mésaventure et complication ; il prend des poses étonnantes pour s'adapter à la situation pas forcément confortable pour lui, mais il s'arrange pour ne pas déranger.

Histoire originale avec un personnage connu que David Merveille s'approprie pour la bonne cause, que l'on pourrait presque jurer avoir vue dans un film de Tati tellement l'univers est bien reproduit. Les dessins sont gris plus ou moins foncés comme peuvent l'être parfois les ciels de la région nantaise et nazairienne qui laissent passer les rayons solaires éclairant les paysages d'une belle lumière grise. Grands dessins, sans doute destinés prioritairement à la jeunesse, ce qui est une excellente idée et un formidable moyen de lui faire connaître Jacques Tati, mais adultes, ne vous arrêtez pas à cela, cette bande dessinée totalement muette ne pourra pas vous laisser indifférent et vous donnera sûrement l'envie de voir et/ou revoir les films de Tati, Mon oncle ou Les vacances de Monsieur Hulot entre autres. Personnellement, je ne rate jamais une -trop rare- diffusion télévisuelle, mais je crois que je vais franchir le pas du DVD pour les regarder en famille.

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8 juillet 2015

Il y a quelques jours, je parlais d'un roman noir terrible plein d'une violence sourde qui se passait dans un milieu très populaire, rustique (Ici meurent les loups) ; là, je fais un grand pas, que dis-je, un saut immense et me retrouve dans les hautes sphères financières, politiques, dans un monde encore plus violent, totalement amoral et immoral dans lequel le mépris le dispute à l'indifférence. Hercule et Dante -sûrement caricaturaux, il ne peut en être autrement, bien entendu- sont absolument ignobles de suffisance et d'égocentrisme boursouflé, assoiffés d'argent et de pouvoir, méprisants pour tout ceux qui ne sont pas à leur hauteur, et comme ils se considèrent comme les plus hauts, de fait, ils méprisent quasiment tout le monde. Aymé se pique assez vite au jeu avec son frère mais reste honnête dans ses projets et les femmes pâtissent et profitent des fortunes des leurs maris ou amants. Restent alors Sun Tzi et Blasphème qui parviennent à attirer notre sympathie et notre envie de les voir résister à ce torrent de haine, de violence et de coups bas.


Pascal Thiriet n'épargne personne, ni les hommes d'affaires puissants prêts à tout pour l'être encore un peu plus, ni les politiques corrompus ou en passe de l'être ou pas exempts de quelques aménagements avec leur conscience pour être réélus : "Le point faible d'Hercule, c'est son sens des convenances. (...) Cette politesse pieuse lui a déjà coûté bien des erreurs, mais c'est ce qui ressemble le plus à une morale dans son milieu, il ne l'abandonnera sous aucun prétexte. Sans elle, il ne serait qu'un Markovy de plus, vulgaire et clinquant comme la vitrine d'une boutique de lingerie à la Saint-Valentin" (p.224, précision : Markovy, dans le roman, est le nom d'un ex-président de la République), ni les femmes qui veulent garder leur standing à tout prix, même celui de ne pas aimer leurs maris voire de les haïr, de subir leurs affronts de tous genres, leurs humiliations, ni les courtisans de toutes ces personnes qui veulent parader et s'enorgueillir d'une relation avec tel ou tel VIP.

Sans doute un peu moins déjanté que les deux autres romans de l'auteurs (J'ai fait comme elle a dit, Faut que tu viennes), celui-ci explore un monde nouveau d'une manière originale ; disons qu'on paraît être dans un monde plus réel que dans ses autres livres, ce qui effraie ; on a dépassé le terme de "requins" pour qualifier ces hommes, il faudrait en inventer un encore plus fort. L'écriture de Pascal Thiriet change un peu également, moins orale, mais c'est normal, on ne s'exprime pas de la même manière dans les hautes sphères de la société -quoique...-, elle reste vive, dynamique, très accessible et met en valeur ses personnages et les valeurs -même (et surtout) pourries- qu'ils défendent. Sa patte est reconnaissable, par la plume qu'elle tient mais aussi par la construction du roman avec les deux héros Sun Tzi et Blasphème, exécuteurs des basses œuvres qui se protègent, elle qui mène la danse et lui, amoureux qui la suit aveuglément (un peu comme Enée et Dido dans le roman précédent). Le renouvellement en gardant les principes de base pour un excellent roman.

Jigal et Pascal Thiriet c'est une histoire qui marche bien, trois livres, trois réussites. A lire sans attendre.

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5 juin 2015

Un roman noir magistralement écrit dans lequel le lecteur doit faire une part du travail, celle de relier tous les éléments entre eux, ce qui se fait presque sans que l'on s'en rende compte, aisément. L'ambiance est sombre, la violence sourde, cette famille est le lieu idéal pour les rancœurs, les vengeances, la volonté de faire du mal. C'est sans doute au départ la maladresse qui entraîne tout cela, la peur de mal faire, de vouloir dresser plus qu'éduquer : "Il (le père) n'avait pas trouvé la façon de leur parler. Il croyait à cette chose que certains croient et qui veut que les enfants apprennent d'abord à parler le langage de leur père avant même de trouver le leur. Très tôt,la résistance de Matthias était devenue pour lui une tare inavouable, une chose sur laquelle il n'avait aucune prise et contre quoi il n'avait jamais pu s'empêcher de s'acharner." (p.35) Stéphane Guyon situe son roman dans une famille rustique et pauvre dans laquelle tout se règle par la violence physique ou psychique, la discussion est peu présente contrairement à la rébellion et au souhait de quitter la maison rapidement. Assez peu de descriptions des lieux et des personnes, mais les images viennent facilement à la lecture : le lecteur se retrouve un peu dans la position de l'oncle -le frère du père- quasiment aveugle qui néanmoins "voit" tout et "entend" tout -il perd aussi l'audition- et qui a une idée très précise des faits et gestes des uns et des autres et de leurs conséquences ; il est le refuge et la source d'énergie pour Stanislas. Tout ceci pour la première partie du livre.


La deuxième partie nous fait rencontrer la jeune fille et son petit frère Samuel : ils vivent quasiment seuls dans une cabane fabriquée par leur père, veuf, qui ne vient presque plus les voir. Elle s'occupe de Samuel, s'accroche à sa relation naissante avec Ladislas et espère quitter ce lieu pour la ville. Elle remarque que des hommes les observent du haut de la butte qui surmonte leur logement. Inquiète sans être apeurée, elle souhaite quand même partir au plus vite. Là, dans cette masure, on est loin de la violence, tout est amour, préoccupation de 'autre et bienveillance. Un havre de paix pour Ladislas.

Stéphane Guyon réussit à bâtir une ambiance garantie noire, un sentiment de malaise tout au long du roman, d'impuissance parce que l'on sent qu'il va se passer quelque chose mais on ne sait pas quoi -à condition de ne pas lire la quatrième de couverture- et qu'on n'y peut rien. La relation entre les trois frères est bien vue, celle avec le père autoritaire itou ainsi que la quiétude de la vie -difficile pourtant- de la jeune fille et de Samuel. Belle écriture qui fait la part belle aux personnages, aux relations entre eux, à la nature ; les dialogues sont réduits à leur plus simple expression, les échanges verbaux n'étant pas le fort des garçons et de leur père.

Un troisième titre très convaincant pour la collection noire de La Différence, avec une présentation à la fois sobre et efficace sur les couvertures.

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5 juin 2015

Formidable roman bien qu'un peu long qui mêle l'histoire réelle des Indiens mohawks à la fiction des personnages créés par l'auteur. On suit simultanément trois chantiers, celui du Pont de Québec qui s'écroula en 1907 et qui vit s'installer la légende des Mohawks qui se jouent du vide et du vertige. Manish Rochelle est l'un deux qui tente de dénoncer la qualité de la construction et paiera cher pour cela. Puis, la construction des tour jumelles en 1968 sur lesquelles travaille Jack LaLiberté, dit Tool, qui sera le seul ouvrier mort sur ce chantier en 1970. Puis, 2001, et John LaLiberté travaille sur les décombres de ce que construisit son père, cherchant des survivants. Il faut ajouter à cela, la vie des Indiens, leurs habitudes, leurs coutumes, les vies sentimentales de Manish et de John compliquées parce qu'en dehors des codes indiens -surtout pour Manish, en 1907.

Vous obtenez un roman dense, absolument captivant, le genre de livre que vous ne lâchez plus, que vous trimballez partout avec vous, même si son volume et son poids peuvent dissuader de le mettre dans un petit sac à main (523 pages, un peu plus de 4 centimètres d'épaisseur, j'ai mesuré, c'est d'ailleurs mon seul bémol, des longueurs, des répétitions et beaucoup trop de détails techniques parfois encombrants et inutiles).

Ce qui est formidable, c'est que tout s'emboîte parfaitement dans la construction du roman, à savoir comment l'érection et l'effondrement du pont de Québec amèneront d'autres constructions dans lesquelles les Mohawks prendront une grande part, notamment les tours jumelles qui s'effondreront elles aussi. Ce serait un peu facile de dire que Michel Moutot bâtit son livre comme on construit un bâtiment, alors, évidemment, je ne le dis pas.

J'ai aimé la manière dont s'imbriquent les différentes histoires réelles et fictives donnant un évident air épique à ce roman. C'est quasiment un roman d'aventures dans lequel les Mohawks racontent leur fierté d'appartenir à un peuple de bâtisseurs, reconnu comme tel. Je suis persuadé que la fiction est un formidable moyen de faire passer des idées, des informations, et Michel Moutot ne s'en prive pas : la vie des Mohawks, l'enfer de l'effondrement des tours jumelles et celui du déblaiement qui occasionnera beaucoup de maladies voire des morts parce que les sauveteurs n'étaient pas suffisamment informés et protégés contre la pollution, les émanations des matériaux de construction pas toujours sains et la propagation des divers produits entreposés dans les sous-sols ou les étages, ... mais aussi la solidarité rapide des Etats-uniens qui se mobilisent pour aider, offrir à manger, à boire, des vêtements, ou encore les malfrats qui profitent des conditions terribles pour piller.

Michel Moutot est journaliste à l'AFP, lauréat du Prix Hachette en 2001 pour sa couverture des attentats du 11 septembre 2001 ; il ose ici un roman pas facile basé sur une tragédie encore en mémoire, et finement, subtilement il réussit son pari, celui d'écrire le roman du post-11-septembre vécu par les gens ordinaires, les habitants de New York, ceux qui ont été tous les jours confrontés au vide laissé l'effondrement des tours et ceux qui ont dû continuer à vivre en ayant perdu l'un ou plusieurs des leurs, des amis, des collègues.