Hubert Haddad

Biographie

Né à Tunis en 1947, Hubert Haddad est l'auteur d'une œuvre romanesque de premier ordre. Depuis Un rêve de glace, son premier roman, jusqu'à Palestine, une fiction hantée par le conflit du Proche-Orient (Prix des cinq continents de la Francophonie 2008, prix Renaudot Poche 2009), ou les rivières d'histoires de ses Nouvelles du jour et de la nuit, Hubert Haddad nous implique magnifiquement dans son engagement d'artiste et d'homme libre.

Contributions de Hubert Haddad

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Rencontre avec Hubert Haddad

Poète à la langue inspirée, bidouilleur de mots et de genres littéraires, Hubert Haddad publie l’un des romans les plus originaux du moment, Géométrie d’un rêve (éd. Zulma), où il invite le lecteur à l’accompagner dans son univers où le réel tutoie le mythe, où la prose et la poésie s’interpénètrent… Auteur encore confidentiel (son récent prix Renaudot poche pour Palestine changera-t-elle la donne ?), Hubert Haddad est un écrivain exigeant. Vis-à-vis de lui-même comme de ses lecteurs.

Géométrie d'un rêve, votre livre, est un peu le roman total, à la fois journal intime qui raconte des histoires réelles et des rêves, utilise des haïkus et des poèmes, etc. Quel était votre projet au départ?

Il s’agit d’un roman qui s’invente en même temps que le chemin, un miroir qui nous promène. Avec L’Univers, aussi, reparu en édition augmentée, j’avais voulu initier une forme, le roman-dictionnaire, à laquelle Queneau et Pérec avaient rêvé. Un homme rejeté par la mer, comme Ulysse, nu et sans mémoire. Son fil d’Ariane est la succession alphabétique et toute son existence peu à peu se remodèle, son enfance quelque part en Europe de l’Est, sa famille décimée dans les camps, son expérience d’astrophysicien perché dans un phare. Géométrie d’un rêve est un roman assez proche par sa forme éclatée, par l’interrogation qui s’y développe sur la mémoire et l’oubli. L’Univers semble construit de manière très formelle. La construction de Géométrie d’un rêve est en fait plus secrète, moins extérieure. Mais là comme ici, j’ai tenté de réinventer le roman, de relancer la mise. Le roman n’est pas un genre fixe, depuis Pétrone ou Madame de La Fayette, Balzac ou Flaubert, Joyce ou Proust, il ne peut continuer de vivre que par les transgressions qui le renouvellent.

N'avez-vous pas eu peur, ou ne vous êtes pas parfois perdu en route? Et n'avez-vous pas l'impression d'en demander beaucoup à vos lecteurs?

Un artiste, un romancier doit absolument se perdre pour trouver de nouvelles voies. Et ne croyez-vous pas qu’il faille demander beaucoup aux lecteurs ? C’est-à-dire lui donner tout, même si le lecteur attend ordinairement d’un livre un moment de distraction vite oubliée. Et ce n’est que le point de vue du grand lecteur que je suis. Proust, Lowry, Faulkner, Dostoïevski, Borges, James, Woolf nous demandent tous énormément d’attention et d’effort de lecture, quelle récompense en retour! Maintenant, l’écrivain que je suis, lui, ne demande rien à tel ou tel lecteur. Depuis quarante ans, il n’attend rien, mais il travaille et parie innocemment pour la beauté. Je ne sais si ce que je fais à une quelconque valeur. Une chose dont je suis sûr, c’est qu’il faut se défendre de toute complaisance d’époque.

Géométrie d'un rêve se passe en partie en Bretagne, dans un manoir de bord de mer où vécut un peintre avec sa fille, manoir qui fut incendié en 1942. L'histoire ou presque du poète Saint-Pol Roux. Hasard ou volonté? Quelle importance les lieux ont-ils particulièrement dans ce livre ?

Volonté bien sûr. J’ai découvert Saint-Pol Roux adolescent, je l’ai souvent lu, j’ai écrit sur lui. C’est un mage d’une naïveté prophétique, de la trempe d’un William Blake. Je me suis inspiré de sa vie pour imaginer un peintre génial et retiré, dont une des œuvres, la seule sauvée de la barbarie nazie, rayonne comme un graal sur la mémoire des personnages. La Bretagne est mon paysage mental, je m’y réfugie quand je peux. Et j’en rêve quand ce n’est pas possible : cette « Géométrie » en témoigne.

Votre livre parle de l'amour et de la jalousie. Cela va même très loin puisque vous imaginez qu'un écrivain puisse brûler ses livres pour revivre l'amour qui l'a marqué. L'amour contre l'écriture, donc?

Oui, mais c’est de l’écriture encore, puisqu’un roman porte cette passion. En fait, l’écriture n’a qu’un feu et qu’un combustible : l’amour impossible.

C'est aussi un livre sur la difficulté, voire de l'impossibilité d'écrire. Pour écrire, il faut faire le vide en soi, dites-vous, et c'est l'état auquel parvient le narrateur à la fin du roman. Cela ne fait-il pas apparaître l'écriture comme une rédemption?

Un de ses rôles est de provoquer la réalité, la ressourcer en sondant tout le possible des imaginaires, en incitant le lecteur à d’autres usages, d’autres chemins de liberté. Il y a en elle une dimension aventureuse, difficultueuse, souvent risquée. L’art est un pari qui engage la vie, pas une partie de golf entre bons amis. En tout cas, elle peut sauver.

Vous venez d'obtenir le prix Renaudot-Poche (le premier du genre) pour votre précédent livre, Palestine. Etes-vous touché, et notamment du fait qu'il récompense un livre très personnel?

Bien sûr, Palestine est un livre secrètement intime mais qui parle d’une réalité objective, débattue par tous. La part intime me donna l’énergie pour l’écrire, pour tenter de faire un livre à peu près lisible par toutes les bonnes volontés. Ce que j’espère surtout du Renaudot poche, c’est qu’il aide un peu la connaissance de Géométrie d’un rêve, où j’ai investi une passion déraisonnable.

5 questions posées à Hubert Haddad, à l'occasion de la sortie de son livre Géométrie d'un rêve (Zulma).