One-Shot, Senso

Alfred

Delcourt

  • Conseillé par (Libraire)
    25 novembre 2019

    UNE BD ROMANTIQUE A SOUHAIT

    Il fait chaud. Terriblement chaud. Une chaleur qui vous fait perdre le moindre bon sens. Non, rassurez vous, ce n’est pas de ce mois de novembre, triste et pluvieux, dont il s’agit. Mais plutôt de la canicule qui sévit en plein mois d’août dans la dernière BD d’Alfred: « Senso ». Le lauréat du Fauve d’Or 2014 à Angoulême avec « Comme Prima » poursuit ainsi son inspiration italienne avec des paysages et une ambiance qui conviennent visiblement à l’atmosphère de ses BD. C’est le 15 Août dans un hôtel du sud de l’Italie et Germano, poète quelconque égaré dans un monde de brutes, s’est trompé de date, de lieu et peut être même de rendez vous dans ce réel qui visiblement ne lui convient pas. Ce Pierrot lunaire, quinquagénaire, sans téléphone, sans sac et même sans chaussures, venu pour assister au vernissage d’une expo photos de sa fille, va faire une rencontre amoureuse. Un scénario convenu, a priori, censé ne réserver aucune surprise. Et pourtant Alfred une fois de plus réussit à nous emmener avec lui vers des rivages inattendus: celui de la poésie, du précieux silence, du hasard et du non-dit.

    Avec Germano, on va quitter la brutalité des sentiments et du monde actuel pour errer dans l’univers de la tendresse et de l’impossible. Il est solaire Germano mais Elena, plus prosaïque et plus solide en offrant son corps vieillissant, va donner à notre « héros » une belle leçon de vie et de bonheur. Ce n’est pas forcément voulu d’être seul, et les corps qui s’unissent en début et en fin de Bd annoncent et clôturent le bonheur d’être deux, le bonheur d’arrêter un moment le temps qui passe, celui qui fait que « j’ai chaque jour un peu plus la même peau que ma mère ». Alors les mots s’estompent et laissent la place à un dessin majestueux qui nous emmène dans le labyrinthe du jardin du vieil hôtel. Dans de magnifiques double pages, Alfred nous prend par la main dans la moiteur de l’été et nous fait découvrir, temples antiques, statues grecques, taureau herculéen..
    « La pénombre c’est rassurant » déclare Germano et c’est vrai que sous les frondaisons des arbres illuminées par quelques étoiles, on préfère se blottir et écouter le silence qui vient. Alfred a le don de donner un sens aux moments magiques qui deviennent uniques, de ne pas hâter le geste ou l’action. De laisser de l’espace à la poésie pour lui permettre de s’installer et de nous faire rêver. Cette poésie va prendre la forme d’un puzzle sans dessin, d’un enfant endormi à l’arrière d’une voiture, d’envolées de moineaux dessinant dans le ciel d’étranges cryptogrammes. Un labyrinthe sentimental dans lequel on aime se perdre.

    Alfred avec cette dernière BD poursuit notre apprentissage de la vie, sans nous donner de consignes mais en laissant en suspens les choix qu’il nous propose. « Alors qu’est ce qui se passe maintenant? (…) Et pour nous ? » demande Elena à Germano dans la dernière bulle. En guise de réponse le dessinateur nous offre un ciel bleu maculé d’un vol d’oiseaux. Et de jambes entremêlées après l’amour.