Contes de la liberté

Ben Okri

Christian Bourgois

  • Conseillé par
    5 janvier 2011

    L'histoire se passe dans une forêt. Vieil Homme et Vieille Femme y déambulent, discutent, se disputent et cherchent des clairières. Accompagnés de Pinprop, leur bouffon eunuque, leur esclave, ils philosophent, Pinprop dirigeant à la fois leurs pas et leurs échanges verbaux :

    "Sans se retourner vers le vieux couple, il [Pinprop] déclara :

    - Comme nous le disions. Nous avons effectivement trouvé l'endroit, et l'endroit nous a effectivement trouvés. Nous ne sommes pas encore arrivés, mais chaque endroit où nous nous arrêtons exige une redéfinition de notre destination.

    - Tu veux dire que nous ne sommes pas encore arrivés ? demanda Vieille Femme, indignée.

    - Oh, si, répondit Pinprop. Mais seulement à titre provisoire.

    - Quoi ! s'écria Vieille Femme.

    - C'est comme ça, dit Pinprop d'un ton rassurant. Quand une oie pond un oeuf, beaucoup d'autres oeufs seront pondus. Quand une tapette attrape une souris, beaucoup d'autres souris seront attrapées. L'objectif final d'une oie, c'est de devenir oeuf ; pour la tapette, c'est de finir souris.

    - Oui, dit Vieille Femme. Cela est très sensé. Continue." (p.14/15)

    Ce court conte ou fable philosophique recèle de nombreux dialogues de ce type. On y croise également d'autres personnages : l'Homme, Nouvel Homme et Nouvelle Femme, tous emplis de questionnements et en recherche de réponses. J'avoue que je n'ai pas toujours tout compris, mais Ben Okri a une écriture qui fascine et qui fait qu'on a envie d'aller au bout de son histoire. Sa forêt peut être une sorte de Purgatoire, de salle d'attente du Paradis, ou encore un jardin d'Eden, chacun y voyant ce qu'il a envie d'y trouver. Qui des réponses, qui des pensées, comme Nouvel Homme : " Le jeune homme attendit patiemment. Puis il parla.

    - La vie est un chef-d'oeuvre de l'imagination, dit-il.

    - C'est tout ?

    - Oui. Ne trouves-tu pas que c'est adorable ?

    - L'imagination d'un esprit malade, je dirais. Allons-y.

    - C'est honteux que ça ne te plaise pas. C'est la meilleure pensée que j'aie eu de toute ma vie.

    - Allons-y.

    - La meilleure pensée de toute ma vie et elle disparaît en en clin d'oeil.

    - Je suis sûre que nous survivrons à cette déception.

    - Allons-y, ma chérie.

    - Oui. Allons-y." (p.75)

    Cette fable est suivie de 13 "stoku" forme narrative que Ben Okri a créée : "Sto" pour story (= nouvelle) et "ku" pour haïku. "Selon ses propres mots, son origine est mystérieuse, son but est la révélation, sa forme compacte, son sujet infini. Sa nature est l'énigme. (4ème de couverture) Ce sont en fait de très courtes nouvelles, de une à trois pages, racontant des faits, des histoires de manière poétique, dans le même genre que le conte qui précède, et qui "proposent un mode différent d'appréhension du monde, dur et extrême, qui nous entoure." (4ème de couverture)

    Une lecture passionnante, très différente des productions en vue. De l'ironie, du décalage, de la poésie, de l'humour, de la philosophie, etc, etc, ... A lire et à relire ; pour cela, je le garde pas très loin de moi, pour piocher dedans, de temps en temps.